ProNatuA France Aquariophilie - Espèces lessepsiennes


ProNatuA France Aquariophilie - Espèces lessepsiennes

Article
Accueil ProNaturA blog
 
| ProNaturA Aquariophilie | Divers | Divers  Vu 46449 fois
Article N°27248

ProNatuA France Aquariophilie - Espèces lessepsiennes

Il y a à peu près 5,3 millions d’année, une brèche se forme entre l’océan Atlantique et le bassin asséché depuis 300 000 ans d’une mer que les géographes nomment « paléoméditerranée ».
C’est la naissance de la Méditerranée « moderne » reliée à l’Atlantique par le détroit de Gibraltar.

Faune et flore sont donc exclusivement issues de l’Atlantique, notamment de ses régions tempérées. Au cours des milliers d’années qui suivent, la flore et la faune évoluent lentement en fonction des modifications climatiques.


En 1869, la géographie méditerranéenne est bouleversée ! Ferdinand de Lesseps, avec le canal de Suez, crée une brèche reliant la Méditerranée à la mer Rouge et l’océan Indien, à partir du golfe du Suez.

Cette voie d’eau de 163 km, totalement artificielle, permet désormais la migration d’espèces dans les 2 sens, mais la migration mer Rouge vers Méditerranée est de loin la plus importante du fait, probablement du courant sud-nord plus fréquent, la mer Rouge étant légèrement plus élevée que la Méditerranée.
Cette migration a été stoppée quelque temps au niveau des lacs Amar et Timsah du fait de leur hyper salinité. Mais cette dernière s’est progressivement abaissée autorisant ainsi le passage de migrateurs plus nombreux.
Le transit maritime par le canal de Suez « importe » également son lot d’organismes envahissants (faune et flore) qui « voyagent » soit fixés sur les coques soit dans les eaux de ballast des navires (ceci expliquant pourquoi certaines espèces, n’étant originaires ni de la mer Rouge, ni de l’Atlantique tempéré, sont également présentes en Méditerranée.
 
Dans le même temps, les modifications climatiques plus ou moins anthropiques, l’urbanisation du pourtour méditerranéen, etc. engendrent des modifications au niveau de la salinité et de la température de l’eau.

Il est à noter que l’immigration Méditerranéenne existe également par le détroit de Gibraltar (immigration herculéenne) mais d’une façon très secondaire

 
Implantation des espèces lessepsiennes
Ces espèces migratrices (flore & faune) colonisent notamment la méditerranée orientale, (principalement les côtes égyptiennes, israéliennes, libanaises, syriennes) avec l’aide du courant ouest-est originaire de l’Atlantique. La colonisation va en diminuant jusqu’aux côtes siciliennes mais les aires de répartition tendent à augmenter.
Les conditions physico-chimiques des eaux impliquent en effet une restriction de la circulation des organismes immigrés. La grande majorité (80%) des poissons lessepsiens sont, à ce jour, restés dans le bassin levantin. Peu d’entre eux ont été identifiés en mer Ionienne. Seule, une dizaine d’espèces ont été signalées au-delà du canal du Cap Bon(1) .
Aucune espèce de poisson lessepsien n’a, à ce jour, été signalée dans le golfe du Lion, la zone la plus froide de la méditerranée. Mais il est probable que, le réchauffement climatique aidant, cette situation évoluera. Fistularia commersoni et Siganus luridus (photo ci-contre) ont été signalés sur les côtes provençales et azuréennes.
Les experts estiment à 650 le nombre d’espèces lessepsiennes dont : 81 poissons, 150 mollusques, 70 décapodes, 25 cnidaires, 80 algues, 1 phanérogame.
À ce jour, les espèces lessepsiennes représentent 4% de la faune méditerranéenne mais ce pourcentage atteint 10% dans le bassin méditerranéen oriental (bassin levantin). Les scientifiques estiment que la migration se poursuit à un rythme atteignant de 5 à 10 espèces par an (faune et flore).

 
Liste non exhaustive des espèces lessepsiennes de poissons osseux - Les espèces signalées dans la Méditerranée occidentale (à l’ouest du canal du cap Bon) sont signalées par un *
Alepes djadaba Aphanius dispar Atbrinomorus fosskali
Atherinomorus forsskali Enchelycore anatina Epinephelus coioides*
Etrumeus teres Fistularia commersoni* Hemigraphus far*
Lagocephalus sceleratus Lagocephales suezensis Leiognathus klunzingeri*
Pampus argenteus* Plotosus lineatus Priacanthus bamrur
Pterois miles Rastrelliger kanagurta Sargocentron rubrum
Saurida undosquamis* Scomberomorus commerson Siganus luridus*
Siganus rivulatus* Sphyraena chrysotaenia Stephanolepis diapros*
Sylhouettea aegyptia Synanceia verrucosa Therapon theraps*
Upeneus moluccensis    

Mécanisme migratoire
Ne migre pas qui veut !
Une espèce candidate à l’émigration doit faire preuve d’une certaine « plasticité » anatomo-biologique pour supporter des conditions qui peuvent être assez différentes de son milieu d’origine : température, salinité ...
Les espèces inféodées à un écosystème précis n’ont pas franchement de penchant pour l’émigration. Pourtant, une surpopulation et/ou  une pénurie alimentaire, par exemple, peuvent induire une « pression sociale » entraînant une émigration. Une fois celle-ci induite, l’espèce devra « trouver » une voie et un moyen de transport. Dans notre cas, la voie est toute trouvée.
Le moyen de transport dépendra du stade de développement de l’organisme migrateur (œuf, larve, adulte …).
Les œufs et larves n’ont pas d’autre choix que de suivre les courants, à moins qu’ils ne soient fixés, d’une façon ou d’une autre, sur les coques des navires ou passagers clandestins des eaux de ballast de ces mêmes navires.
Il faut noter que quelques rares espèces de l’océan Indien, inconnues en mer Rouge ont été signalées en Méditerranée, transportées fort probablement par ces moyens.
Les poissons ne vont pas systématiquement se diriger vers le canal de Suez. C’est un comportement erratique qui va les y conduire souvent par hasard. Mais ce peut être également le résultat de la recherche de nourriture, en suivant, par exemple, le plancton, lui-même errant au gré des courants.
Une fois rentrés dans le canal, c’est encore le courant qui va remplir son rôle, notamment pour les espèces dont les capacités natatoires sont limitées. Mais de nombreux obstacles viennent jalonner le passage : modification des qualités physico-chimiques de l’eau, l’hypersalinité des lacs Amers ou l’hyposalinité de l’embouchure du Nil par exemple, la prédation, … Ces dangers seront amplifiés notamment pour les œufs et les formes larvaires, plus fragiles que les sub-adultes ou adultes.
Arrivée en Méditerranée, l’espèce migrante doit trouver très rapidement des conditions compatibles avec ses besoins, notamment nourriture et reproduction, faute de quoi l’implantation durable est impossible.
 
La capture d’un spécimen qui n’est pas confirmée par des captures ultérieures est probablement le signe d’un échec d’acclimatation. Cet échec peut être dû à des causes environnementales (biotope incompatible …) ou à l’absence de partenaires sexuels du fait du nombre limité de spécimens immigrés. Les espèces qui migrent en banc ont donc beaucoup plus de chance de se reproduire, si toutefois les conditions sont correctes.
Car les poissons devront également s’acclimater à leur nouvel environnement et notamment adapter leur rythme biologique en fonction des conditions locales. C’est ainsi que les périodes de reproduction de certaines espèces sont tout à fait différentes de celles rencontrées en mer Rouge.
 
Espèces invasives ?
Aujourd’hui, aux environs de 300 espèces de la mer Rouge (poissons, mollusques, décapodes, échinodermes …) ont été décrites en Méditerranée ; mais selon les scientifiques, ce chiffre est probablement très sous-évalué. 6% des poissons de la mer Rouge seraient, à ce jour, passées en Méditerranée.
En Méditerranée occidentale, les espèces lessepsiennes ne sont pas (encore ?) considérées invasives. Les signalements sont épisodiques, sauf, peut-être, Fistularia commersoni que l’on trouve en mer Tyrrhénienne et sur les côtes provençales.
 
En Méditerranée orientale, le constat est plus alarmant. Les 81 espèces lessepsiennes identifiées dans le bassin levantin représentent près de 19% de l’ichthyofaune. Devant la pression exercée par certaines espèces immigrées, les espèces autochtones ont dû, dans certains cas, s’adapter. Cette adaptation s’est traduite par une délocalisation voire une modification bathymétrique.
Les brouteurs d’algues tels Siganus rivulatus et Siganus lubridus mettent à nu de grandes surfaces rocheuses qui sont alors colonisées par des mollusques induisant ainsi une modification des écosystèmes. Ces mêmes espèces seraient à l’origine de la disparition de Sarpa salpa, autre poisson brouteur d’algues.
Enfin, il ne faut pas oublier les risques de pollutions génétiques, certaines espèces lessepsiennes étant capables de s’hybrider avec des espèces méditerranéennes. L’hybridation Aphanius dispar x Aphanius fasciatus donne des spécimens féconds.
 
Les espèces lessepsiennes doivent être considérées comme ayant été introduites par l’homme, ce dernier étant à l’origine du percement du canal de Suez. Qu’elles soient considérées envahissantes ou non, ces espèces, non autochtones, représentent, à plus ou moins long terme, une menace pour la faune et la flore méditerranéennes
Il est à noter que Plotosus lineatus est classé dans les espèces exotiques envahissantes par l'Union européenne (métropole), après publication du règlement d'exécution (UE) 2019/1262 ¾
 ______________________ 
1/ détroit situé entre la Tunisie et la Sicile. C’est à partir de ce détroit que sont délimitées les parties est et ouest de
la Méditerranée.

Jean-Jacques Lorrin
Fédération Française d'Aquariophilie
 

Bibliographie
Bitar Ghazi & Bitar Kouli Souha - Université libanaise, faculté des sciences, Hadah, Liban – Nouvelles données sur la faune et la flore benthiques de la côte libanaise. Migration lessepsienne.
Centre de ressources espèces exotiques envahissantes - Le poisson lion, une espèce qui s’installe en Méditerranée –https://bit.ly/2E3pvhD.
Quemmerais Amice Frédéric (AAMP, Brest) - Pressions biologiques et impacts associés ; Espèces non indigènes : vecteurs d’introduction et impacts - Pressions et impacts Méditerranée occidentale juin 2012.
Quignard Jean-Pierre - Biodiversité : la Méditerranée, évolution de la xénodiversité ichtyique, les poissons lessepsiens et herculéens - Académie des Sciences et Lettres de Montpellier - P. 105 - Séance du 21 mars 2011.
Zibrowius Helmut & Bitar Ghazi - Invertébrés marins exotiques sur la côte du Liban - Centre d’Océanographie de Marseille, station maritime d’Andoume - Université libanaise, faculté des sciences, Hadah, Liban - Lebanese Science Journal. Vol. 4 n°1 p. 67- 2003.
Sarat Emmanuelle – Des poissons lapins (Sic) en Méditerranée – Centre de ressources espèces exotiques envahissantes – Septembre 2016 - https://bit.ly/2PUjs1E ¾
 




 

Jean Jacques LORRIN

  • 0
    • j'aime
    • Qui aime ça ? »
  • 0
    • je n'aime pas
    • Qui n'aime pas ça ? »
  •  
 

Réagissez, commentez !

  • Aucun commentaire pour l'instant
rechercher un article, une vidéo...